49.

Le dimanche matin, passant par l’entrée de service pour échapper aux journalistes, je partis faire une longue promenade à pied le long du fleuve. J’étais encore toute remuée après l’appel téléphonique d’Elliott et torturée par les questions que je me posais sur Nick – et, avouons-le, sur Mack.

Le temps avait tenu ses promesses – chaud, avec une légère brise. Le courant de l’East River, souvent violent, semblait aussi nonchalant que le soleil. Quelques rameurs étaient sortis, peu nombreux, ajoutant une note particulière au paysage. J’aime New York et même, qu’on me pardonne, cette horrible enseigne Pepsi-Cola sur la rive de Long Island.

Au bout de trois heures de marche, j’étais mentalement et physiquement vidée. Je rentrai à la maison, pris une douche et me couchai. Je dormis tout l’après-midi pour me réveiller à six heures, les idées plus claires, capable de faire face. Je m’habillai décontracté, d’une chemise rayée bleu et blanc et d’un jean blanc. Peu m’importait si Nick arrivait en veston cravate. Je ne voulais surtout pas être la petite Carolyn qui se mettait sur son trente et un pour un rendez-vous.

Nick arriva à sept heures précises. Lui aussi avait opté pour un pantalon de toile et une chemise de sport. Je ne voulais pas m’attarder avec lui à la maison, mais ses premiers mots furent : « Carolyn, il faut que je vous parle, et je préférerais le faire ici. »

Je le conduisis dans la bibliothèque. « Bibliothèque » est un grand mot. Elle n’a rien d’impressionnant. C’est simplement une pièce avec des rayonnages, des fauteuils confortables et un panneau lambrissé qui dissimule un bar. Nick s’en approcha, se versa un whisky avec de la glace et, sans me demander mon avis, me servit un verre de vin blanc avec deux glaçons.

« C’est ce que vous avez pris la semaine dernière. J’ai lu que la duchesse de Windsor mettait de la glace dans son champagne, dit-il en me tendant mon verre.

– Et j’ai lu que le duc de Windsor aimait son whisky sec.

– Marié à la duchesse, ce n’était pas étonnant. » Il eut un sourire fugace. « Je plaisante. J’ignore comment elle était dans la réalité. »

Je m’assis au bord du canapé. Il choisit un fauteuil et le fit pivoter dans ma direction. « Je me souviens que j’avais une prédilection pour ces sièges, dit-il. Je m’étais promis, si jamais je devenais riche, d’en acheter au moins un.

– Et alors ?

– Je n’ai jamais eu le temps de m’en occuper. Quand j’ai commencé à gagner de l’argent et acquis un appartement, j’ai engagé une décoratrice. Sa spécialité était le style western. À la fin, j’avais l’impression d’être Lucky Luke. »

Je le regardais sans rien dire. Ses tempes étaient encore plus grisonnantes que je l’avais cru. Il avait des poches sous les yeux, et l’expression préoccupée que j’avais remarquée sur son visage la semaine précédente s’était muée en une profonde anxiété. Il était allé en Floride la veille, son père avait eu une nouvelle crise cardiaque. Je lui demandai de ses nouvelles.

« Il va mieux. C’était une attaque bénigne. Ils vont le renvoyer chez lui dans deux jours. »

Puis Nick me regarda droit dans les yeux. « Carolyn, croyez-vous que Mack soit en vie ? Et si oui, est-il capable de ce dont l’accuse la police ? »

J’étais sur le point de lui répondre franchement, de dire qu’à ce stade je n’en savais rien, mais je me repris à temps. « Pourquoi me posez-vous cette question ? Bien sûr que non, il n’en est pas capable. » J’espérais avoir l’air aussi choqué que possible.

« Carolyn, ne me regardez pas ainsi. Ne comprenez-vous pas que Mack était mon meilleur ami ? Je n’ai jamais compris pourquoi il avait choisi de disparaître. Maintenant je me demande s’il avait quelque chose en tête dont personne ne se doutait à l’époque.

– Êtes-vous inquiet pour Mack ou pour vous-même, Nick ?

– Je ne vous répondrai pas. Mais si jamais il entre en contact avec vous, ou s’il vous téléphone, la seule chose que je vous demande, dont je vous prie instamment, c’est de ne pas croire que vous lui faites une faveur en le protégeant. Avez-vous entendu le message que Leesey a laissé à son père ce matin ? »

Il me regarda avec un air interrogateur.

Ébranlée par ses paroles, je restai un moment muette avant de pouvoir dire que je n’avais ni écouté la radio ni regardé la télévision de la journée. Mais dès que Nick me mit au courant, je me souvins de la thèse avancée par Barrott selon laquelle mon frère avait volé sa propre voiture. Sans raison me revint alors à l’esprit ce jour où Mack avait été pris d’un terrible saignement de nez. J’avais cinq ou six ans. Papa était à la maison, et il avait saisi une des serviettes mono-grammées sur une étagère de la salle de bains pour étancher le sang. Nous avions une femme de ménage d’un certain âge à cette époque qui avait une passion pour Mack. Elle avait été si bouleversée qu’elle avait voulu arracher la serviette des mains de mon père. « Celles-là sont pour faire joli, criait-elle. Elles sont pour faire joli ! »

Papa s’amusait beaucoup en racontant cette histoire, mais il ajoutait : « Cette pauvre Mme Anderson avait beau être horriblement inquiète au sujet de Mack, pour elle ces serviettes luxueuses n’étaient pas destinées à pareil usage. Je lui ai dit qu’elles étaient marquées à notre nom et que Mack pouvait les salir à sa guise ! » J’imaginais Mack capable de voler sa propre voiture, mais pas de détenir Leesey en otage ni de torturer son père. Je regardai Nick. « Je ne sais que penser, dis-je. Je vous jure qu’en dehors de ces coups de téléphone à l’occasion de la fête des Mères, je n’ai jamais eu aucune nouvelle de mon frère. Je ne l’ai pas vu depuis dix ans. »

Nick hocha la tête et j’eus l’impression qu’il me croyait. Puis il demanda : « Pensez-vous que je suis responsable de la disparition de Leesey ? Que je l’ai cachée quelque part ? »

Je réfléchis longuement avant de répondre. « Non, je ne le pense pas. Mais vous avez été tous les deux entraînés dans cette histoire. Mack parce que je me suis adressée à la police, vous parce que Leesey a disparu en sortant de votre club. Si ce n’est ni vous ni lui, qui est le coupable ?

– Je n’ai même pas un début de réponse à cette question, Carolyn. »

Nous continuâmes à échanger nos réflexions pendant plus d’une heure. Je lui dis que j’allais essayer de voir Lil Kramer seule, car visiblement elle craignait de parler en présence de son mari. Nous reparlâmes de la dispute entre Mack et Lil Kramer, dont Nick n’avait pas su la raison. Je racontai à Nick que Bruce Galbraith avait tenu des propos carrément hostiles à l’égard de Mack quand je l’avais rencontré la semaine précédente, et que Barbara s’était apparemment réfugiée à Martha’s Vineyard pour éviter d’être questionnée.

« J’ai l’intention d’y aller demain ou mardi, dis-je. Maman ne souhaite pas me voir et Elliott s’occupera d’elle. »

Nick me demanda si je pensais que ma mère allait épouser Elliott.

« Oui, sans doute. Et, sincèrement, je l’espère. Ils vont très bien ensemble. Il ne fait aucun doute que maman aimait papa, mais il s’amusait souvent à la contredire. Elliott est davantage une âme sœur pour elle, ce que j’ai un peu de mal à accepter. Ce sont tous deux des perfectionnistes et je pense qu’ils seront très heureux ensemble. » Puis j’ajoutai presque sans m’en rendre compte : « C’est pour cette raison qu’elle avait une préférence pour Mack. Il faisait tout bien. Je suis trop impulsive au goût de maman. C’est moi qui ai déclenché tout ce gâchis en allant trouver la police. » Je me tus, effarée. Comment avais-je pu confier de telles pensées à Nick ? Il s’apprêtait sans doute à s’approcher de moi, peut-être à passer son bras autour de mes épaules, mais il dut sentir que ce n’était pas le moment et dit simplement d’un ton léger : « Voyons si vous connaissez cette citation : “Elle sortit tout armée de la tête de son père.”

– Minerve, dis-je. Sœur Catherine avait une passion pour la mythologie. » Je me levai. « Vous m’avez invitée à dîner, vous vous en souvenez ? Que diriez-vous du Neary’s. J’ai envie d’un steak sandwich et d’une grosse assiette de frites. »

Nick hésita. « Carolyn, je dois vous prévenir. Il y a des photographes dehors. Je suis garé près de la porte. Nous pouvons piquer un sprint jusqu’à la voiture. Je ne crois pas qu’ils nous suivront. »

Les choses se passèrent comme prévu. Les flashes se déclenchèrent à l’instant où nous sortîmes de l’immeuble. Quelqu’un essaya de me coller un micro sous le nez. « Mademoiselle MacKenzie, pensez-vous que votre frère… » Nick me saisit par la main et nous courûmes jusqu’à sa voiture. Il remonta York Avenue jusqu’à la 72e Rue, fit demi-tour et rebroussa chemin. « Nous devrions avoir la paix à présent », dit-il.

J’en doutais un peu. Ma seule consolation était que maman soit dans un endroit sûr, hors d’atteinte de la horde des journalistes.

Le Neary’s est un pub irlandais dans la 5è Rue, à un bloc de Sutton Place. C’est une deuxième maison pour beaucoup d’entre nous dans le quartier. L’atmosphère y est chaleureuse, la cuisine excellente, et vous avez toutes les chances d’y connaître la moitié des dîneurs attablés.

Si vous aviez besoin qu’on vous remonte le moral, et Dieu sait que j’en avais besoin, Jimmy Neary s’y employait. Il traversa immédiatement la salle pour m’accueillir. « Carolyn, c’est une honte d’insinuer de telles horreurs sur Mack », me dit-il en posant une main sur mon épaule. « Ce garçon était un saint. Vous verrez, la vérité finira par éclater. »

Il se retourna et reconnut Nick. « Bonsoir, fiston. Tu te souviens du jour où tu es venu avec Mack et où vous avez parié avec moi que les pâtes de ton père valaient mon corned-beef ?

– Nous n’avons jamais fait le test, dit Nick. Et aujourd’hui mon père a pris sa retraite en Floride.

– Sa retraite ? Il est content ? demanda Jimmy.

– Il est très malheureux.

– Je le serais à sa place. Dis-lui de revenir, on finira par trouver la réponse. »

Jimmy nous conduisit à l’une des tables d’angle du fond. Une fois que nous fûmes installés, Nick m’en dit plus sur sa visite en Floride. « J’ai supplié ma mère de ne pas montrer la presse de New York à mon père. Je ne sais pas comment il réagirait s’il découvrait que je suis considéré comme suspect dans la disparition de Leesey Andrews. »

En dégustant nos steaks, nous abordâmes d’un accord tacite des sujets neutres. Nick parla de l’ouverture de son premier restaurant et de sa réussite. Il souligna qu’il s’était sans doute développé trop vite depuis cinq ans. « J’ai dû me laisser influencer par l’histoire de Donald Trump, admit-il. J’ai cru amusant de marcher sur la corde raide. J’ai beaucoup misé sur le Woodshed. C’était le bon endroit au bon moment. Mais si l’État veut le faire fermer, ils trouveront un moyen. Et ce sera catastrophique. »

Nous parlâmes de Barbara Hanover avec précaution. « Je me souviens de l’avoir trouvée très belle, lui dis-je.

– Elle l’était et l’est toujours mais il y a autre chose chez elle, Carolyn : elle est avant tout motivée par “ce qui est le plus avantageux pour Barbara”. C’est difficile à expliquer… lorsque nous sommes sortis de l’université et que j’ai préparé mon MBA, Mack n’était plus là et, quant à Bruce, ne plus le revoir m’était devenu indifférent. »

Nous prîmes tous les deux un cappuccino, puis Nick me reconduisit à Sutton Place. Il ne restait plus qu’un camion de télévision à mi-hauteur de la rue. Nick me fit rapidement entrer dans l’immeuble et m’accompagna jusqu’à l’ascenseur. Pendant que le liftier tenait la porte ouverte, il me dit : « Carolyn, je ne suis pour rien dans toute cette histoire et Mack non plus. Croyez-moi. »

Sur ce, il disparut. Je montai à l’appartement. Le voyant rouge du répondeur clignotait. C’était l’inspecteur Barrott. « Mademoiselle MacKenzie, ce soir à neuf heures moins le quart, vous avez reçu un nouvel appel émanant du téléphone portable de Leesey Andrews. Votre frère n’a pas laissé de message. »

Où es tu maintenant ?
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